Enchères Vickrey
William Vickrey (1914-1996) est un économiste, lauréat du Prix Nobel d'économie en 1996. Il est mort 3 jours après sa nomination, et n'a donc pu recevoir sa médaille qu'à titre posthume.
Il est connu en particulier pour ses travaux sur les systèmes d'enchères, un système d'enchère dont il est reconnu comme l'inventeur porte son nom : l'enchère Vickrey.
Ce système d'enchère est simple : chaque enchérisseur donne le prix maximum qu'il est prêt à mettre sans que les autres enchérisseurs soient au courant. A l'adjudication, c'est l'enchérisseur qui a fait l'offre la plus élevée qui remporte le lot, au prix du second enchérisseur.
Vickrey a décrit cette enchère en 1961. Les économistes considèrent ce travail comme précurseur (il l'est du point de vue des économistes, de par l'utilisation des théories mathématiques des jeux appliquées aux enchères). Il a montré qu'elle était équivalente à l'enchère classique (dite anglaise).
Les philatélistes savent bien que ce système est bien plus ancien. La maison Roumet se présente comme l'inventeur en 1927 des "ventes sur offre" : le système de vente sur offre est exactement le système Vickrey. Les enchérisseurs envoient leurs offres par courrier, c'est le premier enchérisseur qui remporte le lot au prix (augmenté d'un incrément d'enchère) du deuxième meilleur enchérisseur.
En pratique, l'enchère Vickrey n'est guère utilisée que dans le domaine des collections, en particulier en philatélie (et s'est développée surtout en France).
Dans ce travail universitaire (pdf) "Vickrey Auctions in Practice: From Nineteenth Century Philately to Twenty-first Century E-commerce" de 2000, l'auteur David Lucking-Reiley a recherché l'historique des enchères Vickrey en philatélie (il a sans doute limité ses recherches aux USA) : il est remonté jusqu'en 1893 dans le Massachusetts. La publicité parue dans le journal philatélique Golden Star en mars 1893 :
Catalogue of a Collection of U.S. and Foreign Stamps
To be sold WITHOUT RESERVE except where noted.
Bids will be received up to 4 P.M., May 15, 1893.
Bids are for the LOT, and, contrary to the usual custom in sales of this kind, we
shall make this a genuine AUCTION sale; that is to say, each lot will be sold at
an advance of from 1c to 10c above the second highest bidder. Address all bids
to Wainwright & Lewis, Northampton, Mass.
Catalogue d'une collection de timbres des USA et du mondeNote : la "coutume habituelle" était de vendre au meilleur enchérisseur au prix qu'il avait offert, c'est un système fréquent dans les marchés publics.
En vente sans prix de réserve sauf indication
Les enchères seront reçues jusqu'à 16h le 15 mai 1893.
Les enchères sont par lot, et contrairement à la coutume habituelle dans les ventes de ce type, nous faisons une vraie vente aux enchères ; pour tout dire, chaque lot sera vendu avec un complément de 1c à 10c au dessus de la deuxième meilleure offre.
Envoyer vos offres à Wainwright & Lewis, Northampton, Mass.
Roumet est sans doute l'inventeur du terme "vente sur offre" mais pas l'inventeur du système comme le prouve cette étude : les anglais préférant le terme "second-price sealed-bid auction", qu'on peut traduire par "vente aux enchères à offres scellées avec attribution au prix de la deuxième enchère" (l'anglais est beaucoup plus synthétique que le français...).
La question qui se pose, c'est pourquoi ce système de vente aux enchères reste confiné dans une niche, à tel point que certains économistes le voyaient comme quelque chose de purement théorique !
A mon avis, deux raisons :
- Les ventes aux enchères classiques (et les ventes aux enchères sur internet) permettent parfois de vendre plus cher quand les enchérisseurs se prennent au jeu des enchères et dépassent le prix qu'ils s'étaient fixés. C'est une réalité, il existe même une procédure, la folle enchère, qui permet au gagnant de revendre immédiatement le lot s'il s'aperçoit qu'il ne pourra pas le payer.
- La question de la confiance des organisateurs de ventes sur offre est cruciale. Il est en effet tentant pour l'organisateur de faire des offres fictives de façon à ce que le prix payé soit proche du maximum offert. D'autant plus que l'organisateur est payé 20 à 30% sur le prix atteint, ou bien est propriétaire du lot. Or il est de notoriété publique (et des indices forts existent) que certains organisateurs trichent (mais je ne vous dirais par lesquels...).
Ainsi si mathématiquement les deux systèmes sont équivalents, la nature humaine (inconscience ou malhonnêteté) fait que le vendeur a intérêt au système classique (au bémol prêt qu'une vente aux enchères a souvent une audience moins importante).
Reste que les ventes sur offre sont un moyen pratique de pratiquer la vente aux enchères par correspondance, même s'il est menacé par les ventes par internet (mais ces dernières se limitent encore au segment intermédiaire du marché philatélique).
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